ÉDITORIAL ARIANE KROL

La triste fin de Téo Taxi

Apprécié par sa clientèle, mais regardé avec scepticisme par plusieurs, le service de taxis électriques Téo a finalement heurté un mur. Et au-delà du parc de véhicules, c’est une certaine vision du transport qui risque de disparaître des rues de Montréal. C’est l’idée qu’il soit possible de réinventer le taxi avec des véhicules propres, à la fois agréables pour les passagers et respectueux de l’environnement.

Est-ce à dire qu’il ne faut plus tenter et soutenir de telles expériences – et qu’il vaudrait mieux, désormais, se cantonner en des terrains connus où les risques d’échec paraissent inexistants ? Ce serait une grave erreur, plus lourde de conséquences encore que la chute de Téo Taxi.

Il y a eu l’application mobile qui, à ses débuts, a connu des ratés et fait fuir des clients. Le nombre insuffisant de voitures, qui a limité la zone de couverture et rallongé les temps d’attente, faisant perdre, encore là, de nombreux clients. Les batteries à recharger, réduisant encore la disponibilité des véhicules. Les chauffeurs salariés, donc payés même lorsqu’ils ne génèrent pas de revenus, entre deux clients ou en allant recharger le véhicule. Et payés généreusement, à un taux horaire de 15 $ auquel s’ajoutent des charges sociales. Il y a eu les portes tournantes à la haute direction. Et sûrement beaucoup d’autres problèmes encore.

Malgré les dizaines de millions reçus en subventions et en capital de risque, la société mère Taxelco n’a jamais réussi à rentabiliser ce service. C’est extrêmement frustrant.

Mais laisser entendre, comme des gérants d’estrade le font ces jours-ci, que ce projet était, en soi, une erreur dès le départ ?

Que Québec et Ottawa n’auraient jamais dû le subventionner ? Que des fonds de capital de risque comme ceux de la Caisse de dépôt et du Fonds de solidarité FTQ ont eu tort… de prendre un risque ? Un instant !

Téo Taxi était déficitaire au départ. Ça n’a rien d’inusité pour une entreprise innovante qui développe une toute nouvelle technologie, mais ça ne peut pas durer éternellement non plus. Les bailleurs de fonds ont fini par conclure que le modèle d’affaires n’était pas viable.

Mais le modèle de transport, lui, n’en est pas moins souhaitable.

Un service de taxi dans les quartiers centraux de Montréal sans émission de gaz à effets de serre, avec des véhicules bien tenus, des chauffeurs courtois et des revenus et des taxes entièrement déclarés au fisc ? On en veut !

Oui, il existe des chauffeurs indépendants qui offrent cette qualité de prestation. Mais le client qui se présente à un stand ou appelle une voiture n’a aucune garantie de tomber sur l’un d’eux. Téo, c’était un peu ça aussi : l’espoir que le niveau général finisse par remonter pour ne plus souffrir de la comparaison.

Il faudra voir ce qu’il advient de Taxelco, dont les deux autres services de taxis traditionnels, Diamond et Hochelaga, sont en meilleure posture. Beaucoup trop d’informations manquent encore pour se lancer dans une autopsie de la situation. Mais des questions devront se poser à Québec, et pas seulement sur la somme des subventions qui ont été accordées. 

Pourquoi, par exemple, a-t-on permis à une multinationale étrangère comme Uber de pratiquer des tarifs différents du taxi traditionnel, mais pas à une entreprise locale innovante comme Téo ?

Oui, des fonds ont été perdus dans cette aventure. Espérons qu’on n’y ait pas aussi perdu l’envie de sortir des sentiers battus, de redynamiser des secteurs en perte de vitesse, de faire les choses autrement. Parce que si le Québec devient trop frileux pour prendre le risque de tenter lui-même des changements, il devra se résigner à subir ceux qui lui arrivent d’ailleurs.

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